
Techniques avancées d'entraînement de résistance
Alors que le volume total de notre expérience en entraînement de résistance s'accroît à chaque séance et que nous gagnons en force et en hypertrophie musculaire, nous réalisons une transition progressive et régulière d'un état non entraîné à celui de entraîné. Avec cette transition, le rythme et le degré d'augmentation de la force et du volume musculaire diminuent et nous finissons par atteindre une sorte de plateau.
Il semble que les auteurs d'articles de bodybuilding parlent depuis toujours des moyens de dépasser ce plateau. Ils ont souvent préconisé l'utilisation de techniques d'entraînement avancées comme les drop-sets/breakdown sets (une série effectuée jusqu'à la défaillance musculaire avec un poids donné, puis réduction immédiate du poids et poursuite des répétitions jusqu'à une nouvelle défaillance musculaire), l'entraînement repos-pause (répétition uniques, proches de la limite avec une brève phase de repos entre chaque répétition), l'entraînement de pré-épuisement (un exercice isolé effectué immédiatement avant un exercice composé pour « pré-épuiser » un muscle cible), entre autres. Toutes ces méthodes s'attachent à un seul objectif, celui d'augmenter l'état de fatigue dans un muscle donné en espérant renforcer l'unité motrice, activer le recrutement des fibres musculaires et catalyser des adaptations plus importantes en force et/ou en volume. Tout cela semble très logique… mais y a-t-il des preuves qui étayent ces recommandations ? Cet article passe brièvement en revue des études scientifiques portant sur les trois techniques avancées mentionnées précédemment.
Drop Sets/Breakdown Sets (BD)
Une personne atteint la défaillance musculaire avec une charge donnée (par exemple 80% du maximum pour une répétition ; RM) lorsque son niveau de force baisse en-dessous de cette charge (par ex : >79% 1RM). Ainsi, le fait de diminuer le poids à environ 50% 1RM permet la poursuite de l'exercice et donc d'effectuer davantage de répétitions. Une hypothèse veut que l'entraînement BD recrute les unités motrices de type I et de type II parce qu'il utilise à la fois des charges plus lourdes et plus légères, permettant ainsi d'atteindre une tension musculaire élevée et de provoquer la fatigue, le stress métabolique et l'ischémie. Cela est le résultat d'une prolongation de l'état de tension au niveau du muscle (Schoenfeld, 2011). Plusieurs auteurs dignes d'intérêt ont préconisé cette technique par le passé (Westcott, 2003 ; Fleck et Kramer, 2014 ; Baker et Newton, 2005) mais il semble que les preuves empiriques soient inexistantes.
Un de ces travaux s'est penché sur les réponses hormonales aiguës à l'entraînement BD ; Goto et al., (2003) et a fait état d'augmentations plus importantes en hormone de croissance (HC) après une série d'extensions genoux effectuée à 50% 1RM immédiatement après des séries du même exercice à 90% 1RM, par rapport à des séries uniquement à 90%. Tandis que des niveaux élevés d'hormones de croissance ont été associés à une hypertrophie plus importante (Schoenfeld, 2010), des différences de point de vue subsistent à propos de l'ampleur de cette association (Carpinelli, 2010; West et al. 2010). En tout cas, l'étude n'a pas mesuré la force ou la zone de coupe transverse (ZCT) du muscle. Elle ne prouve donc pas d'adaptation chronique.
Toutefois, une deuxième étude menée par le même groupe d'auteurs (Goto, et al., 2004) a comparé l'entraînement traditionnel (5 séries d'extensions genoux et de presse à cuisses, 2 x / semaine à 90% 1RM) à un entraînement BD (le même protocole avec une série supplémentaire effectuée 30 secondes après la 5ème série à 50% 1RM) chez des participants entraînés. Leurs résultats ont montré des augmentations beaucoup plus importantes du moment de torsion et de l'endurance musculaire pour le groupe ayant suivi l'entraînement BD. De plus, bien que non significative d'un point de vue statistique, l'hypertrophie de la cuisse a également semblé plus importante dans ce même groupe.
Armés d'un bon esprit scientifique, nous pourrions émettre des critiques et poser la question de savoir si les résultats supérieurs obtenus chez les groupes ayant suivi l'entraînement BD étaient dus à la série BD, ou simplement au fait d'effectuer une 6ème série d'exercice. Gageons que cette zone d'ombre donnera lieu à davantage d'études.
Entraînement repos-pause (RP)
Il semble que nous devions cette méthode à Mike Mentzer (Mentzer et Little, 2003). Elle se compose de répétitions uniques, effectuées à un poids presque maximal, avec de brèves périodes de repos entre les répétitions. Par rapport à l'entraînement BD (voir ci-dessus), cette technique utilise souvent la réduction de la charge lorsque l'épuisement est atteint. Ainsi, il en découle que la même hypothèse reste valable par rapport aux causes de l'augmentation en force et en volume ; à l'unité motrice et au recrutement de la fibre musculaire avec des charges lourdes, et à la fatigue et au stress métaboliques.
Cependant, il semble qu'il y ait, là aussi, une pénurie relative de littérature autour de cette technique d'entraînement. La première étude qui semble se pencher sur l'entraînement RP (bien qu'elle ne mentionne pas ce terme) est celle de Berger et Hardage (1967). Ces auteurs ont comparé des groupes de participants non entraînés, soit à 10RM, soit avec 10 répétitions uniques (en commençant à 1RM puis en diminuant la charge à chaque répétition. Notons ici qu'il s'agit là, presque à l'identique, du protocole recommandé par Mentzer et Little, 2003). Les auteurs ont signalé des augmentations plus importantes en termes de force grâce à l'entraînement RP par rapport à l'entraînement 10RM.
Une deuxième étude s'intéressant à des participants entraînés (Giessing, et al., 2014) a comparé trois conditions d'entraînement ; (i) état proche de la défaillance musculaire, (ii) état de défaillance musculaire, et (iii) RP. Les participants ont effectué des exercices appliqués à l'ensemble du corps 2x / semaine. Les résultats du suivi de 10 semaines d'entraînement ont établi des augmentations de force similaires pour le groupe s'entraînant en RP et ceux subissant la défaillance musculaire. Le groupe (i) n'a montré aucune augmentation en force, ce qui suggère que l'atteinte de la défaillance musculaire est un pré-requis pour continuer d'augmenter la force, tandis que la similitude de résultats entre l'atteinte de la défaillance musculaire et l'entraînement RP remet en cause l'efficacité de cette technique avancée.
Entraînement de pré-épuisement (Pre-Ex)
C'est peut-être la technique la plus complexe et la moins bien comprise de celles exposées dans cet article. On la doit à Arthur Jones qui l'a établie dans les années 70 (néanmoins, on suggère qu'elle a précédé sa réflexion ; Jones, 1970). Cette technique se fonde sur l'hypothèse suivante : lorsque l'on effectue un exercice composé (par ex : un développé couché), le muscle principal impliqué dans le mouvement ou muscle cible (ex : les pectoraux) n'atteignent pas une fatigue suffisante car les muscles de synergie (ex : deltoïdes antérieurs, triceps, etc.), plus petits, atteignent en premier un état de défaillance. La méthode du pré-épuisement suggère que si notre exercice composé est précédé par un exercice isolé (par ex : écarté pectoraux), il est alors possible de fatiguer le muscle cible et de passer directement à l'exercice composé où les muscles de synergie aideront à l'exécution, ce qui permet d'induire une fatigue plus importante au niveau du muscle cible. Encore une fois, cette technique a été préconisée (ex : Darden, 2004 ; Baechle et Earle, 2008) avec peu de preuves scientifiques pour l'étayer.
En fait, seules trois études avaient étudié l'entraînement de pré-épuisement jusqu'à l'année dernière. Toutes se penchaient sur les effets aigus en mesurant l'activation musculaire (Augustsson, et al., 2003 ; Gentil, et al., 2007 ; Brennecke, et al. 2009). Si ces études sont intéressantes en soi, aucune d'entre elles n'est dotée d'une rigueur méthodologique suffisante pour véritablement apporter des éléments probants au débat, principalement parce que l'activation musculaire n'induit pas de gains en force ou en volume. En fait, aucune de ces études n'a décrit d'avantage à la technique PreEx au niveau des muscles cibles tandis qu'un renforcement a été observé à travers l'activation des muscles de synergie (par ex : triceps) pendant l'exercice composé dans le cadre de la technique PreEx (Gentil, et al., 2007 ; Brennecke, et al., 2009).
Le tout dernier article est celui de Fisher, et al. (2014). Trente-neuf hommes et femmes ont suivi 12 semaines d'entraînement de résistance, répartis dans les trois groupes suivants : (i) PreEx (écarté haltères immédiatement suivi d'un développé couché, pullover immédiatement suivi d'un tirage, et une extension genoux immédiatement suivie d'une presse à cuisse), (ii) PreEx avec repos, ex : les mêmes exercices dans le même ordre, mais avec 60 secondes de repos entre les exercices, et (iii) un groupe témoin qui a effectué les mêmes exercices dans un ordre différent. Les principaux résultats ont été qu'aucun groupe n'a sensiblement amélioré sa force par rapport aux deux autres, ce qui suggère qu'il n'y a pas d'avantage physiologique à suivre un entraînement PreEx par rapport aux méthodes traditionnelles.
Résumé
Cet article représente une synthèse de ces méthodes avancées pour aider à mieux comprendre le degré d'adaptation découlant de ces techniques d'entraînement. S'il est envisageable de juger ces méthodes à l'aune de nos résultats et de ceux obtenus par nos compagnons d'entraînement, nous ne devons pas nous départir d'une certaine objectivité scientifique. Certes, les méthodes exposées sont présentées avec des hypothèses logiques et en ayant cela à l'esprit, quelles que soient les adaptations physiologiques, il se pourrait qu'il y ait des avantages psychologiques à recourir à des méthodes d'entraînement avancées. Mais à ce sujet, la science n'a pas encore tranché !
Références
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- Fisher, J., Carlson, L., Steele J., Smith, D. 2014. The effects of pre-exhaustion, exercise order, and rest intervals in a full-body resistance training intervention [Les effets du pré-épuisement, de l'ordre des exercices et des intervalles de repos sur un entraînement de résistance pour l'ensemble du corps]. Appl Phys Nutr Metab. 39 : 1-6